Réforme de la justice : Audition Nicole Belloubet, garde des Sceaux

 

06 Novembre 2018   
PPL loi organique réorganisation des juridications PPL Loi de programmation 2018-2022 et réforme de la justice
Audition Nicole Belloubet, garde des Sceaux
Député Jean-Louis MASSON

 

Madame la Ministre,

Vous nous avez annoncé, il y a un an, votre volonté de réformer et moderniser la justice de notre pays.

Après la phase de concertation à travers les Chantiers de la justice, la chancellerie a élaboré, sous votre autorité, les textes que vous nous présentez aujourd’hui.

Ces derniers appellent de notre part quelques observations :l

1/ Budget pluriannuel :

Ce budget va progresser de 1,6 milliard d’euros d’ici 2022, passant de 6,7 à 8,3 milliards d’euros, dans le cadre d’une loi de programmation des moyens de la justice. Ces moyens supplémentaires permettront notamment la création nette de 6500 emplois, la construction de 7000 nouvelles places de prison et de 20 centres éducatifs fermés. On en prend acte, cela étant, comme le Sénat vous l’a dit, nous considérons que cet effort n’est pas à la hauteur des besoins et des enjeux mais nous y reviendrons lors de la discussion que nous aurons lors de l’examen de l’article 1er du projet de loi ordinaire.

2/ Sur les réformes elles-mêmes :

21/ Organisation de la justice :

Le projet de loi prévoit la fusion administrative du tribunal d’instance et du tribunal de grande instance.

Certes, vous n’avez cessé de répéter que cette fusion n’entrainera pas de fermeture de tribunal, mais alors pourquoi cette réforme ?

Au demeurant nous avons 2 craintes :

  • celle de voir nombre de petits contentieux passer à la trappe noyés au sein du TGI,
  • celle d’imaginer que cette fusion n’est qu’une étape, la prochaine étant bien sûr la suppression des 300 tribunaux de proximité.

22/ Parquet national anti-terroriste :

Ce projet ne figure pas dans votre projet, je pense que c’est une erreur. Pouvez-vous nous explique les raisons de ce revirement ?

23/ Médiation préalable :

Notre groupe s’étonne d’une forme de privatisation de la justice. En effet, ce sont des sociétés privées qui interviendraient au stade de la médiation. Nous ne sommes pas sûr que les plus fragiles des justiciables soient défendus avec équité. Les sociétés privées ne sont pas la justice.

24/ Présence d’un avocat :

L’article 4 de la loi ordinaire étend le périmètre des contentieux pour lesquels la représentation par un avocat est obligatoire (contentieux techniques, baux ruraux, expropriation, douaniers).

Cette obligation n’est-elle pas d’ores et déjà une mauvaise conséquence de la fusion des TI avec les TGI.

25/ Simplification du divorce :

Le projet de loi (art 2) prévoit la suppression de l’audience de conciliation dans la procédure de divorce contentieux.

Ne pensez-vous pas que cela puisse favoriser une logique d’affrontement entre les parties et, partant, entraîner une augmentation du nombre de divorces pour fautes ?

26/ Numérisation :

Le projet de loi (art 3) prévoit la numérisation complète de la procédure, de la plainte jusqu’au jugement.

La saisine se fera en ligne par algorithme. Ce sera la fin de l’accès du justiciable à son juge. De plus, comment une décision de justice rendue par le numérique, c’est-à-dire déshumanisée, peut-elle être équitable ?

Dans le cas particulier des crimes ou délits commis contre les personnes, comment est-il possible d’envisager de déposer une plainte sans être entendu ? Sans entendre sur le champ les auteurs présumés et les témoins ?

27/ Efficacité des enquêtes :

Nous sommes plutôt favorables à toutes les dispositions allégeant le travail des enquêteurs.

Nous nous interrogeons néanmoins sur l’intervention du Juge des Libertés et de la Détention à qui on confie toujours plus de responsabilités mais sans y affecter les moyens nécessaires. Par manque de temps, il valide bien souvent les réquisitions du parquet sans même développer une motivation propre.

28/ Tribunal criminel départemental :

Le projet de loi (art 42) prévoit d’expérimenter, dans certains départements, un tribunal criminel, composé de 5 magistrats professionnels, pour juger des crimes passibles de 15 à 20 ans de réclusion.

Cette proposition est un camouflet à l’égard d’un des plus beaux acquis de la révolution française.

La motivation réelle c’est faire des économies, aller plus vite dans la gestion des dossiers. En cour d’assises, on repart à zéro puisque les jurés ne connaissent pas le dossier. Ce qui se passe à l’audience est essentiel, on ne se contente pas de ce qui a été fait pendant l’instruction. Cela prend du temps mais c’est un temps nécessaire.

29/ Peines plus adaptées et mieux exécutées :

Le projet de loi (art 43) permet d’interdire à des délinquants de fréquenter certains lieux, jusqu’à 6 mois, dans le cadre des alternatives aux poursuites. Il permet aussi d’appliquer des amendes forfaitaires aux délits de vente d’alcool à des mineurs et d’usage de stupéfiants.

Le projet réécrit l’échelle des peines pour éviter de courtes peines d’emprisonnement. En dessous d’un mois, les peines d’emprisonnement sont interdites. Entre un et six mois, la peine s’exécutera en principe dehors, sous bracelet électronique, dans un centre de semi-liberté ou en placement extérieur.

Jusqu’alors, un condamné pouvait bénéficier d’un aménagement de peine et éviter ainsi l’incarcération lorsqu’il écopait d’une peine allant jusqu’à 2 ans de prison ferme. Désormais, seules les peines inférieures ou égales à un an ferme pourront obtenir un aménagement de peine.

Le travail d’intérêt général sera développé. Il pourra être exécuté dans le cadre des aménagements de peine ou comme obligation d’un sursis probatoire.

Une libération sous contrainte au deux tiers de la peine sera systématisée pour les détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans, pour éviter les sorties « sèches ».

Il nous semble que :

a/ le périmètre d’application de l’amende forfaitaire pourrait être étendu à d’autres délits,

b/ il appartient à la juridiction de jugement de décider s’il y aura ou non aménagement de peine,

c/ la juridiction de jugement doit avoir le libre choix entre une exécution immédiate de la peine prononcée, un aménagement ab initio par elle-même, un mandat d’arrêt différé ou un renvoi devant le juge d’application des peines afin de mieux préciser les modalités d’un éventuel aménagement de peine,

d/ la peine de détention à domicile sous surveillance électronique doit être écartée en raison de la confusion qu’elle entraine avec le placement sous surveillance électronique,

e/ le caractère automatique de la libération sous contrainte aux 2/3 de la peine est inopportune.

30/ Projet de loi organique – indépendance des juges :

Le problème de l’indépendance des juges n’est pas abordé par le projet de loi organique. Je crois que c’est un tort. Ce principe est souvent examiné sous le prisme de son éventuelle distance avec l’exécutif. Je crois que le risque d’influence doit être étendu. Ne croyez-vous pas qu’il faille, pour garantir une totale indépendance des magistrats, leur fixer des règles de non-éligibilité plus stricte, y compris après avoir quitté la profession durant une durée de 5 ans par exemple ; de non appartenance à un parti politique, une organisation syndicale voire à des associations philosophiques ou religieuses ?

 

 

 

 

 

 

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