Réforme de la justice: Mon intervention en tant que rapporteur d’application

19 Novembre 2018

   PPL loi organique réorganisation des juridications
PPL Loi de programmation 2018-2022 et réforme de la justice

Discours de  M.le député Jean-Louis MASSON
lors de la discussion générale en tant que rapporteur d’application

 

Madame la Ministre,

Depuis des décennies maintenant, la justice française manque de moyens avec des tribunaux engorgés et des prisons surpeuplées.
A la longue cela a provoqué une rupture de confiance des français avec leurs juges.

En fait que veulent nos concitoyens ? Rien de plus simple, ils attendent que le droit soit dit rapidement quand ils vivent un conflit ; et s’ils sont victimes d’une infraction pénale, ils espèrent que les sanctions soient rapides à défaut d’être immédiates et que les peines prononcées soient effectives.

Votre ministère ne répond pas à cette attente et vous en avez conscience. C’est ainsi que vous nous avez annoncé, il y a un an, votre volonté de réformer et moderniser la justice de notre pays.

Après la phase de concertation à travers les Chantiers de la justice, la chancellerie a élaboré, sous votre autorité, les textes que vous nous présentez aujourd’hui.

Vous nous promettez, je vous cite, « de construire une justice plus lisible, plus accessible, plus simple et plus efficace ». Ces propos vous les avez martelés depuis des mois.

Je vais donc, au nom de mon groupe, essayer d’en évaluer la portée.
Et je commencerai, d’emblée, par ce qui est central dans toute réforme, les moyens financiers que l’on y consacre.

1/ Budget pluriannuel :

Oui Madame la Garde des sceaux, et je vous en donne acte, votre budget va progresser de 1,6 milliard d’euros d’ici 2022, dans le cadre d’une loi de programmation des moyens de la justice.

Cela étant, cette augmentation ne permet pas de combler le retard pris depuis tant d’années. Nous considérons que cet effort n’est pas à la hauteur des besoins et des enjeux. Dans sa grande sagesse, le Sénat vous l’a dit.

Et puis parlons chiffre un instant. Le budget de la justice a été abondé de 260 millions en 2018 et un peu plus de 300 millions sont inscrits pour 2019, soit 560 millions en 2 ans. On pourrait s’en réjouir, sauf que si l’on met cet effort en perspective avec la trajectoire des prélèvements obligatoires, qui dans la même période croissent de 42 milliards, vous constaterez comme je l’ai fait, que votre budget, celui d’une des principales missions régaliennes de l’état, n’en représente que 0,013%.

Pour que vous compreniez bien, je dis que sur les 2 années 2018 – 2019, le budget de la justice pèse que guère plus de 0,01% de l’augmentation de l’effort fiscal supplémentaire demandé aux français.

2/ Sur les réformes elles-mêmes :

21/ Les services pénitentiaires :

La surpopulation carcérale est un fléau dont on ne se défait pas. Il y aurait tant à dire sur ce sujet. Je résumerai en précisant que cette surpopulation altère les conditions de réinsertion des détenus et pèse sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires.

Alors que le candidat Macron s’était engagé sur la création de 15000 places dans le quinquennat, le texte n’en prévoit que 7000 d’ici 2022.

Dois-je préciser que le plan de construction des établissements, au moment où nous parlons, n’est pas finalisé. Si l’on intègre le délai nécessaire à son aboutissement et celui des procédures administratives incontournables,

vous comme moi savons très bien que cet objectif de 7000 places en 2022 est inatteignable.

21/ La réorganisation de la justice civile :

Le projet de loi prévoit la fusion administrative du tribunal d’instance et du tribunal de grande instance pour en faire un tribunal judiciaire départemental.

Certes, vous n’avez cessé de répéter que cette fusion n’entrainera pas de fermeture de tribunal, mais alors pourquoi cette réforme ?

Vous le savez, nous avons 2 craintes :

  • celle de voir nombre de petits contentieux passer à la trappe, noyés au sein du TGI,
  • et celle d’imaginer que cette fusion n’est qu’une étape, la prochaine étant bien sûr la suppression de tout ou partie des 300 tribunaux de proximité.

Vous allez encore nous certifier que vous n’en avez pas l’intention.

Je crois en votre bonne foi mais ouvrez les yeux Madame la Ministre, il y a, sur ce sujet, un déterminisme qui vous échappe.

22/ Sur la procédure civile :

Nous avons plusieurs observations :

221 : Numérisation :

La saisine se fera obligatoirement en ligne. Ce sera la fin de l’accès normal du justiciable à son juge. De plus, comment une décision de justice rendue par le numérique, c’est-à-dire déshumanisée, peut-elle être vraiment équitable ?

Nous avons le sentiment que la numérisation éloigne les citoyens d’une justice humaine.

222/ Médiation préalable :

Notre groupe s’étonne d’une forme de privatisation de la justice. En effet, ce sont des sociétés privées qui interviendraient au stade de la médiation. Nous ne sommes pas sûr que les plus fragiles des justiciables soient défendus avec équité.

Les sociétés privées ne sont pas la justice.

223/ Présence d’un avocat :

L’article 4 de la loi ordinaire étend le périmètre des contentieux pour lesquels la représentation par un avocat est obligatoire (contentieux techniques, baux ruraux, expropriation, douaniers).

Cette obligation nous semble être une mauvaise conséquence de la fusion des TI avec les TGI.

224/ Simplification du divorce :

Le projet de loi prévoit la suppression de l’audience de conciliation dans la procédure de divorce contentieux.

Nous pensons que cela peut favoriser une logique d’affrontement entre les parties et, partant, entraîner une augmentation du nombre de divorces pour fautes.

23/ Sur la procédure pénale :

231/ Mesures de simplifications :

Nous sommes favorables aux mesures susceptibles de favoriser le travail des enquêteurs, à savoir :

  • simplifier et étendre l’enquête de flagrant délit
  • simplifier les procédures de dépistage des conducteurs en matière d’alcoolémie ou d’usage de stupéfiants
  • étendre les pouvoirs des APJ
  • mettre en place l’habilitation unique d’OPJ
  • simplifier les réquisitions en matière d’enquête préliminaire

232/ Parquet national anti-terroriste :

Les risques dans ce domaine rendent nécessaire la création de ce parquet spécialisé.

233/ Sur les peines :

Nous avons des propositions :

1/ le périmètre d’application de l’amende forfaitaire pourrait être étendu à d’autres délits,

2/ il appartient à la juridiction de jugement de décider s’il y aura ou non aménagement de peine,

3/ la juridiction de jugement doit avoir le libre choix entre une exécution immédiate de la peine prononcée, un aménagement ab initio par elle-même, un mandat d’arrêt différé ou un renvoi devant le juge d’application des peines afin de mieux préciser les modalités d’un éventuel aménagement de peine,

4/ la peine de détention à domicile sous surveillance électronique doit être écartée en raison de la confusion qu’elle entraine avec le placement sous surveillance électronique,

5/ le caractère automatique de la libération sous contrainte aux 2/3 de la peine est inopportune.

233/ Numérisation en matière pénale :

Dans le cas particulier des crimes ou délits commis contre les personnes, la numérisation de la procédure nous semble inappropriée.

D’une part, d’un point tout simplement humain. Comment penser qu’une personne ayant vécue un tel traumatisme puisse s’asseoir tranquillement devant son ordinateur et rédiger sa plainte en ligne ?

D’autre part, du point de vue de l’efficacité de l’enquête. Il est nécessaire d’entendre immédiatement le plaignant, de se transporter parfois rapidement sur les lieux pour y faire des constatations, entendre les témoins, appréhender et auditionner l’auteur ou les auteurs présumés.

Si la numérisation peut se concevoir dans certaines situations, elle ne nous parait pas du tout adaptée dans le cas des crimes ou délits commis contre les personnes.

235/ Tribunal criminel départemental :

Le projet de loi prévoit d’expérimenter, dans certains départements, un tribunal criminel, composé de 5 magistrats professionnels, pour juger des crimes passibles de 15 à 20 ans de réclusion.

Sur ce sujet, la motivation réelle c’est de faire des économies, aller plus vite dans la gestion des dossiers. En cour d’assises, on repart à zéro car les jurés ne connaissent pas le fonds de l’affaire. Ce qui se passe à l’audience est essentiel, on ne se contente pas de ce qui a été fait pendant l’instruction. Cela prend du temps mais c’est un temps nécessaire.

Cette proposition est un camouflet à l’égard d’un des plus beaux acquis de la révolution française.

C’est ni plus ni moins que la correctionnalisation des crimes passibles de 15 à 20 ans de réclusion.

24/ Projet de loi organique  :

Je souhaiterais soulever le sujet de l’indépendance des juges qui est absent de votre projet car cela sous-tend la notion de confiance de nos concitoyens à l’endroit de la justice, notion qu’il convient de rétablir.

Vous m’avez indiqué, en commission des lois, que cette question serait traitée dans une loi ultérieure mais il ne me parait pas inutile d’en débattre dans le cadre de ce texte.

Ce principe d’indépendance des magistrats est souvent examiné sous le prisme de son éventuelle distance avec l’exécutif. Je crois que le risque d’influence doit être étendu. Pour garantir une totale indépendance des magistrats, on pourrait réfléchir à des règles de non-éligibilité plus strictes, y compris après avoir quitté la profession durant une durée de 5 ans par exemple ; de non appartenance à un parti politique, une organisation syndicale voire à des associations philosophiques ou religieuses.

Au final,

Nous estimons :

Que des simplifications diverses en matière civile ou pénale vont dans le bon sens.

En revanche, nous considérons que :

– le budget consacré n’est pas à la hauteur des objectifs et des enjeux,

– l’objectif de créer 7000 places de prison d’ici 2022 est très insuffisant et inatteignable,

– La fusion des TI et TGI et la numérisation des procédures éloignent le citoyen d’une justice humaine,

– la dématérialisation des plaintes est inadaptée en matière pénale pour nombre de crimes et délits.

En conséquence, je suis au regret de vous dire que les Républicains sont enclins à voter contre ce texte.

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *